Nous encourageons à utiliser le mot “Travailleur, Travailleuse” plutôt que les termes “employé.e” ou “développeur.se”, du moins lorsqu’on ne fait pas référence à une profession en particulier - comme c’est le cas lorsqu’on désigne une “programmeuse” ou un “artiste”.
Le terme “Travailleur.se” est plus inclusif et fait davantage écho aux réalités de l’industrie du jeu vidéo que peuvent le faire d’autres mots. Voilà pourquoi.
Les jeux vidéos ne sont pas faits en vase clos
Lorsque l’on parle de Travailleur ou Travailleuse du jeu vidéo, on se rapporte à toutes les personnes impliquées dans la production d’une œuvre.
Les programmeuses, les artistes, les designers, les musiciens? Oui.
Les performeurs qui prêtent leurs voix aux personnages et les actrices qui interviennent à la Motion Capture ? Évidemment.
Les community managers? Tout à fait.
Mais le terme “Travailleur.se” désigne également les professionnels que l’on n’aurait pas nécessairement associés avec la production. Les ouvriers et ouvrières qui travaillent à la manufacture des consoles de jeu sur lesquels nos jeux tournent. Les mineurs qui excavent le coltan utilisé dans ces consoles. On y inclut même les personnes en charge de la cantine dans les studios de développement. Car même si cela paraît moins évident au premier abord, ces travailleurs et travailleuses se révèlent essentiels à la production et à la commercialisation d’un jeu. Ce sont donc également des Travailleurs.ses du jeu vidéo à part entière.
Le travail du jeu est un labeur comme un autre
Le milieu du développement de jeux est hanté par un mot : la “passion”. La “passion”, c’est le mot derrière lequel se dissimulent tous les abus qui gangrènent notre industrie : harcèlement moral ou sexuel, épuisement professionnel, heures sup’ non payées, crunch, de même que le vedettariat des créateurs et studios “stars” qui vient sans cesse justifier leur sentiment d’impunité. La “passion” vient effacer de façon systématique les expériences douloureuses, au nom d’un prétendu idéal sacrificiel, le plus souvent vague et intangible.
Dans ce contexte, il est nécessaire de reprendre possession du terme “Travailleur.se”, de sa consonance et de son héritage politique fort. Vous définir comme Travailleur ou Travailleuse du jeu vidéo rappelle à tout le monde — à vous-même, à vos collègues, à votre manager, à votre PDG — que le travail que vous fournissez n’est pas un loisir ou un passe-temps: il s’agit de votre gagne-pain. Ce travail paie votre loyer, vos factures et vous procure une assurance santé privée. Personne ne vous a fait une fleur pour vous avoir recruté et permis de vivre de votre “passion” : vous gagnez votre place chaque jour, en procurant à votre employeur un travail hautement qualifié en échange d’une rémunération et d’avantages professionnels.
La question des crédits de jeux
La question des crédits fait régulièrement polémique dans le monde des créateurs de jeux, et elle est extrêmement caractéristique de la nécessité, pour les travailleurs.ses de l’industrie, de politiser et faire valoir la nature de leur travail.
Chaque studio a sa propre politique maison en ce qui concerne les crédits qui défilent à la fin de nos jeux, à destination des joueurs.ses et de nos pairs. Mais ce n’est un secret pour personne que, peu importe la formule choisie par les compagnies pour créditer leurs équipes, le résultat finit généralement par être un gâchis total au terme duquel les travailleurs et travailleuses finissent le plus souvent perdant.es.
Il est malheureusement très fréquent que les travailleurs.es voient leur travail invisibilisé ou mal qualifié dans les crédits d’un jeu, après y avoir pourtant dédié des mois ou des années de leur temps. Ce n’est pas une surprise, dans une industrie où chaque métier recouvre une définition, des réalités et un prestige très différents selon le studio qui vous emploie.
Ce flou entourant la définition et la reconnaissance du travail fourni met en avant la nécessité de syndiquer l’industrie, afin de procurer aux travailleurs et travailleuses du milieu un socle de définitions et de valeurs sur la base duquel ils et elles pourront aller défendre leurs droits et la légitimité qui leur est pleinement due.
Dans une industrie où tant de labeur peine à être reconnu à sa juste valeur — voire reconnu tout court — il est important d’être solidaires, d’utiliser les bons termes et de résister à la volonté des patrons de définir à notre place nos réalités, de masquer nos demandes et de diviser nos luttes.